De nombreuses entreprises d’Afrique de l’Ouest, productrices de semences, commercialisent désormais plus rapidement et en plus grandes quantités leurs productions au-delà des frontières de leur pays, grâce à la Règlementation régionale, permettant la libre circulation des personnes et des biens dans la région.

Non seulement les unités de production des semences constatent une augmentation de leurs bénéfices, grâce à l’accès à de nouveaux marchés, mais les petits agriculteurs pauvres de la région ont également accès aux semences certifiées de qualité en début de chaque saison des semis ces dernières années.

“La semaine dernière, j’ai livré 40 tonnes de graines de sorgho au Ghana “, renseigne M. Stephen Yacouba Atar, vice-président de l’Association des entreprises semencières du Nigeria (SEEDAN) et PDG de Da-Allgreen Seeds Limited, une des plus anciennes entreprises semencières du pays.

Cette entreprise semencière privée basée à Kaduna au nord du Nigeria, a fait des affaires récemment avec des entreprises semencières au Burkina Faso et bien avant, avec des entreprises libériennes, sierra-léonaises et sénégalaises.

Cela a-t-il quelque chose à voir avec l’harmonisation de la Règlementation semencière adoptée par tous les pays d’Afrique de l’Ouest au cours des dernières années ?

“Oui,” répond sans jambage M. Atar.

“L’harmonisation de la règlementation régionale sur les semences a aidé. Sans cela, nous n’aurions pas eu ces opportunités “, dit-il.

“Avant, nous avions beaucoup de difficultés à livrer des semences au-delà de nos frontières nationales.”

En effet, en 2008, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a adopté la réglementation régionale harmonisée sur les semences. Un an plus tard, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a adopté un dispositif similaire. En 2018, les deux organismes régionaux se sont rejoints au Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel(CILSS) pour renouveler un accord antérieur confiant au CORAF, la responsabilité de gérer la mise en œuvre de la réglementation régionale harmonisée sur les semences et plants en Afrique de l’Ouest.

Grâce au financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), de la Banque mondiale et d’autres donateurs, le CORAF et ses partenaires ont accompli des progrès remarquables dans l’application de cette politique d’harmonisation réglementaire dans la région.

“Dans l’ensemble, le Nigeria représente aujourd’hui à lui tout seul, 60 pour cent du total des semences commercialisées en Afrique de l’Ouest, déclare le Dr Philip Ojo, Directeur général du National Agriculture Seeds Council of Nigeria, l’organisme public chargé de réglementer l’industrie des semences et plants au Nigeria.

Rien qu’en 2018, les entreprises nigérianes ont exporté près de 1 200 tonnes de semences certifiées vers le Ghana. Il s’agit notamment de 830 tonnes de maïs, 340 tonnes de soja et 30 tonnes de sorgho, selon SEEDAN.

En 2016, la Gambie a importé 63 tonnes de semences de riz de base du Nigeria et la Sierra Leone environ 55 tonnes. Avec un besoin croissant de semences certifiées, la Gambie et la Sierra Leone ont commandé la même année, environ 450 tonnes de semences de riz certifiées au Nigeria pour compenser leurs déficits.

De nouveaux débouchés pour les entreprises du Burkina Faso

‘’Nema du Faso’’, basée à Bobo Dioulasso au Burkina Faso, connue sous l’acronyme NAFASO, est probablement l’une des plus grandes sociétés semencières en Afrique de l’Ouest et du Centre. Au cours des dernières années, le groupe a élargi son rayon d’activité dans toute l’Afrique de l’Ouest au point où il peut se permettre de ne pas vendre sa production au gouvernement du Burkina Faso. Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, l’État est le plus gros client des entreprises semencières auprès desquelles il s’approvisionne pour fournir des semences aux agriculteurs avec des prix subventionnés.

Ces dernières années, NAFASO enregistre un chiffre d’affaires annuel de près de 4 millions de dollars US (2 milliards de FCFA).  L’entreprise a également enregistré une augmentation de ses résultats nets en raison de l’accroissement de la demande non seulement en Afrique de l’Ouest, mais aussi en Afrique centrale. Aujourd’hui, NAFASO livre des semences au Tchad, qui a également adopté le Règlement semencier régional harmonisé.

“Nous avons un camion plein de semences de riz qui se dirige vers la Sierra Leone. Dans une semaine, nous enverrons trois camions remplis de semences de riz au Sénégal “, a déclaré Abdoulaye Sawadogo, que nous avons rencontré au siège de son entreprise à Bobo-Dioulasso, dans la région du Haut Bassin du Burkina Faso, en fin mai 2019.

“Nos activités commerciales dans la région ont considérablement augmenté depuis la crise Ebola au cours de laquelle nous avons livré des semences de qualité aux pays touchés.”

Réduire le temps de transport des semences

Lors de la livraison des semences aux communautés touchées au plus fort de la crise à virus Ebola entre 2014 et 2015 au Libéria, en Guinée et en Sierra Leone, rappelle M. Atar, les camions transportant les cargaisons de semences pouvaient mettre jusqu’à un mois pour arriver à destination, à cause des tracasseries sur les corridors ouest africains.

“Cette fois-ci, il nous a fallu moins de 2 semaines pour livrer les semences nécessaires du Nigeria au Ghana.”

Dans l’ensemble, il y a eu des améliorations substantielles dans le temps de livraison des semences à travers la région.

“Quand j’ai commencé au début des années 2000, il m’a fallu plus de trois semaines pour transporter des semences au Nigeria. Pendant la crise d’Ebola, cela a pris environ un mois. Mais maintenant, il faut moins d’une semaine à mes camions pour aller du Burkina Faso à la Sierra Leone”, renchérit  le PDG de NAFASO.

“En nous joignant aux institutions régionales pour faire pression en faveur d’une réglementation assouplie et de l’uniformisation des règles du jeu en matière de certification des semences, de dissémination des variétés et de contrôle phytosanitaire, c’est le genre de résultat auquel nous attendions “, déclare Abdrahamane Dicko, Conseiller en programmes et politiques, Bureau régional pour la croissance économique à la Mission régionale pour l’Afrique occidentale de la USAID.

L’USAID s’est associée au Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricoles (CORAF), à la Banque mondiale et à d’autres acteurs politiques et de la société civile pour promouvoir la mise en œuvre intégrale de la réglementation régionale harmonisée des semences et des plants.

Et bien que les progrès accomplis soient reconnus par tous, les acteurs du secteur des semences sont unanimes : tant que cette politique ne se traduira pas par la disponibilité des semences pour les agriculteurs, le succès n’aura pas été pleinement atteint.

“Rendre le catalogue de semences régional accessible à tous et mettre en œuvre tous les processus d’harmonisation réglementaire ne  suffit pas. Le véritable succès est déterminé par le flux ininterrompu de semences de qualité à travers les frontières par les hommes d’affaires au début de chaque campagne agricole “, dit Mme Shirley Erves Kore, conseillère auprès de la Mission de l’USAID Afrique de l’Ouest et l’une des adeptes de la libéralisation de l’industrie des semences en Afrique occidentale.

Jusqu’à récemment, ces volumes de commerce de semences atteints n’étaient pas évidents car les règles incohérentes et le manque d’opportunités ont étouffé la croissance du commerce des semences au-delà des frontières.

Les experts de l’industrie semencière nigériane reconnaissent volontiers le rôle central du CORAF, de la CEDEAO, de l’UEMOA, du CILSS, etc. dans l’ouverture de nouvelles fenêtres d’opportunités, la mise en relation des acteurs et la fourniture de connaissances pertinentes et utiles qui leur permettent aujourd’hui de développer leurs activités au-delà des frontières.

“Le CORAF, par le biais du Programme semencier de l’Afrique de l’Ouest, a ouvert de nouvelles opportunités pour l’industrie semencière nigériane d’une manière qui n’avait jamais été faite auparavant. Non seulement le CORAF a fourni des opportunités de marché, mais il a également aidé à fournir des semences de base de qualité aux entreprises compétentes ainsi qu’à organiser le secteur privée semencier du Nigeria”, explique le professeur Onyibe, conseiller technique de SEEDAN et chargé de cours à l’Université de Zaria, au nord du Nigeria.

“Vous ne pouvez donc pas dissocier l’augmentation du résultat net des entreprises, de l’augmentation de la productivité tant au Nigeria que dans l’ensemble de la région ouest africaine, de ces interventions du CORAF’’.

“Tout n’est parfait, beaucoup de travail reste à faire”.

“Il y a toujours de la résistance de la part des services de douanes au niveau des frontières. Beaucoup ne comprennent toujours pas les règles”, regrette le PDG de Da-Allgreen Seeds Limited Nigeria.

Cependant, dit-il, les choses changent. “En parlant d’une seule voix et en sensibilisant ces acteurs clés, ils commenceront à comprendre et, dans certains cas, des camions qui ont été bloqués aux frontières, ont été autorisés à poursuivre leur chemin’’.

“Le travail du CORAF, combiné au leadership politique fort des institutions nationales et régionales, a fait une différence considérable dans la façon dont les semences circulent actuellement dans les pays. Mais nous devons aussi être honnêtes pour admettre qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour exploiter l’énorme opportunité qu’offre le marché des semences en Afrique de l’Ouest”, affirme le Dr Yacouba Diallo, un expert en semences qui travaille actuellement avec un des plus récents programmes régionaux de mise à l’échelle des technologies des semences dans la région.

“C’est aussi la raison pour laquelle nous redoublons d’efforts pour que les acteurs mettent pleinement en œuvre ce règlement. Si l’on peut s’appuyer sur les témoignages disponibles des entreprises, nous devons doubler notre engagement avec tous les pays et partenaires concernés pour assurer la mise en œuvre de cette réglementation. C’est ainsi que nous répondrons aux besoins des petits exploitants agricoles de notre région “, déclare le Dr Hippolyte Affognon, directeur du Partenariat pour la Recherche Agricole, l’Education et le Développement en Afrique de l’Ouest (PAIRED), un nouveau projet financé par l’USAID qui vise à faire progresser la mise en œuvre du règlement harmonisé.

Le PAIRED cherche également à faire du CORAF une institution de recherche agricole de premier plan en Afrique, ainsi qu’à développer plus rapidement les technologies existantes et à fournir des semences aux agriculteurs.

Un rencontre régionale pour faire le point sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du règlement semencier et élaborer un plan d’action est prévu dans la capitale sénégalaise, Dakar, au cours de la deuxième semaine de juin 2019.

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